Dans le flux de nos veines,
Un intrus l’on devine,
La pointe d’une épine,
Le courant de nos peines.
Une souffrance naine,
Ainsi qu’une canine,
Darde puis se dessine,
Hideuse et presqu’obscène.
Sourde, elle morigène ;
Déjà, je l’imagine
Qui s’affaire et s’affine
Nichée dans la saphène,
Déployant ses antennes.
Elle court et s’obstine,
Se fait la concubine
Des veinules ébène,
Méchante châtelaine,
Sournoise et pateline
Qui, dans cette courtine,
Nous emprisonne, hautaine.
Puisque l’on nous enchaîne,
On pleurniche, on crachine
De grosses avelines,
Comme des madeleines.
Dans le sang, inhumaine,
Elle va et chemine,
Casanière et chauvine,
Ainsi que le chevaine,
Et, loin d’être une aubaine
Pour notre hémoglobine,
Sa morsure androgyne
Est bientôt pathogène.
Là, sous la porcelaine
Falote, hâve, opaline,
Elle siffle en sourdine
Une élégie soudaine.
Résonne la sirène
Aux échos qui serinent
L’éternelle routine
Dont l’issue est certaine.
Nervures méthylène,
La douleur est maline,
Cinglante et nous lamine,
Amère, peu amène.
Un mal rongeant se traîne
Au fond de la poitrine,
Orage qui ravine
Le ténébreux aven.
Vole au vent, la phalène,
Comme la popeline !
Dans les airs se confinent
Des chatons et des faînes.
Un singulier pollen
Jaillit et dégouline ;
Les pensées libertines
Courent la prétentaine.
Encor bien moins sereine
Dans un conduit marine,
Les chimères chagrines
Empestent la gangrène,
Condamnées, dans l’arène,
A l’agonie taurine :
Passion, assassine
Tes amants sur la scène !
Sangsues de la rengaine,
Sanglots des voies sanguines,
De nos larmes salines
S’exhale votre haleine.
Et des pleurs, par dizaines,
Ruissèlent et voisinent,
Tels des grains de résine
Sur un mat de misaine.
Lierres, guis et lichens,
Lianes tant mesquines,
Ronces et églantines
Qui croissez par centaines
Aux abords du vieux chêne,
Assaillant son échine,
Le vent le déracine
Par votre aide malsaine !
Ô, pauvre énergumène,
L’âpre poison te mine !
Gonflées par tant de spleen,
Tes veines sont trop pleines.
Bible lacrymogène,
Notre vie se pagine,
Et, à pas de feutrine,
Se suivent les étrennes.
Vieux fossile éocène,
Oui, tes jours se calcinent !
Tristement, une Ondine,
Dans un paisible Eden,
Chante une cantilène,
Pinçant sa mandoline ;
Ses larmes sont divines
Mais les tiennes sont vaines.
Rémy