Tout commence en été
Lorsqu’un jour je suis né.
Les cloches
Sonnèrent aussitôt.
Ma sagesse enfantine
Se met vite en sourdine.
Tout mioche,
Je suis un numéro.
J’épuise mes parents
Et je reçois souvent
Taloches,
Soufflets sur mon museau.
Soignant mon petit corps,
Goulûment je dévore
Brioches,
Sucreries, cacao.
Aux champs, j’aide mon père
A travailler la terre.
Je pioche,
Je manie le râteau ;
Et puis, me croyant mûr,
Je pars à l’aventure.
En poche,
Je n’ai que du culot.
« Je veux être marin ! »,
M’écriai-je soudain.
Le Foch
Me fit détester l’eau.
Puisque les flots m’attristent,
Je deviens donc artiste ;
J’accroche
Sur les murs mes tableaux.
Je joue, quand vient le soir,
Des blanches et des noires,
Des croches,
Des airs sur un piano.
Le public insensible
Formule de terribles
Reproches
Sur mon coup de pinceau.
Mais la chance, tout bas,
Me dit : « Ne rate pas
Le coche :
Joue dans un casino ! »
J’exécute, docile,
Ces conseils et, fébrile,
J’empoche
Fier de moi le gros lot.
Je m’offre un grand voyage,
Je visite Carthage,
Antioche,
Singapour et Rio.
Cupidon, impassible,
Dont je deviens la cible,
Décoche
Ses flèches d’angelot,
Gravant mon cœur meurtri
D’une longue série
D’encoches
D’où l’amour coule à flots.
Je chéris mes amantes
Et j’offre à ces charmantes
Des broches
Et bien d’autres joyaux.
Ma vie s’en est allée
Comme un frêle galet
Ricoche
Quand on l’envoie sur l’eau
Et je crois bien qu’en somme,
Je finirai tout comme
Gavroche,
Le nez dans le ruisseau.
Il faudra bien partir
Et laisser sans mot dire
Mes proches ;
Ça, c’est moins rigolo.
Les fleurs et les fougères,
Les cailloux et la terre,
Les roches
Me feront un manteau.
Alors, je rejoindrai
Jésus dans ses contrées.
« Approche ! »,
Me dira-t-il tantôt.
« Regarde sous tes pieds. »
Je vois le monde entier ;
C’est moche !
On est bien mieux la haut !
Rémy